Présentation de l'ouvrage d'Eric Fottorino

Suite à un accident grave de voyageur


Éditions Gallimard

Extrait :
« La jeune sœur de Sophie avait vingt-quatre ans quand elle s’est jetée sous le métro de la station Cambronne. « Ma mère répétait toujours le mot en cinq lettres. Le message était clair. » Sa voix sourde prononce chaque phrase avec peine. À l’écouter, j’ai l’impression que le drame a eu lieu hier. Les faits remontent à trente ans. La douleur persiste, tapie, sans répit. Les suicides récents l’ont même ravivée. Sophie sait qu’il faudrait parler. « Si les gens ne parlent pas, on passe à côté ». Elle se demande jusqu’à quel degré de souff rance il faut aller pour se détruire de la sorte.
Jusqu’où il ne faut pas s’aimer. Elle estime que la destruction physique fait partie du choix. On ne peut plus imaginer le corps de la victime. Plus d’intégrité de l’être. Plus de territoire inviolé. Un morcellement. Un anéantissement. S’éradiquer comme une mauvaise herbe.
Je cherche ce que ces désespérés ont voulu nous dire, à nous les vivants. Ils ne se retirent pas sur la pointe des pieds. Ils ouvrent un abîme et nous questionnent sans un mot. Leur détresse pourtant est un cri qui nous est adressé. Ils meurent devant témoins. Leur mise à mort est une mise en scène. Je sens qu’ils nous confrontent à notre indiff érence, à notre incapacité à les entendre et même à les regarder. S’ils se jettent ainsi au vu de tous, c’est qu’ils se croient invisibles. »